"Ca ne vous dérange pas de bâfrer pendant que je chante ?"
Zil.
"Ca ne vous dérange pas de fumer pendant que je respire ?" Zan.
Un soir de Novembre 68, alors que nous écumions les lieux susceptibles d'être intéressés par notre tour de chant, nous fûmes remarqués par l'animatrice d'un cabaret situé non loin de la place du Tertre: "La Grange au Bouc".  

Pour nos débuts officiels à la scène, nous allions affronter le pire des auditoires qui soit.
Celui qui mesure la réussite de sa soirée au nombre de verres éclusés.
Celui plus soucieux du contenu de son  assiette que du programme artistique proposé. Celui là même qui commande bruyamment les cafés au couplet d'une chanson, les digestifs au second, l'addition au troisième, puis qui attend patiemment le beau milieu d'un refrain, se lève, enfile son vison à sa secrétaire préférée, et quitte l'établissement sans la moindre discrétion, afin d'asseoir un peu plus son statut de "public-roi".
Drôles, poétiques, tendres, satiriques, dérangeantes: tels étaient les qualificatifs auxquels devaient répondre les oeuvres du trio.
Zan, dont les influences allaient des Beatles à Tchaïkovski en passant par Mozart et les Stones, se confia fort logiquement la responsabilité de la création musicale et vocale.

Zil, disciple de Jacques Brel et redoutable danseur de tango renversé, devint le soliste du groupe - situation idéale pour défendre les textes qu'il avait lui-même écrits -.

Passionné de jazz, ayant appris la basse et le solfège avec un vieux professeur (remarquable violoniste de surcroît) qui consacra sa vie à ce métier, certes magique, mais ô combien ingrat qu'était celui du spectacle, Zoul fut chargé d'occuper le centre de la scène - ce qui lui valut le surnom de sauvage central -, d'exécuter quelques "waouhs" en guise de choeurs tout en s'appliquant sur sa grosse dame comme aurait pu le faire un enfant sur son cahier de classe.

illustration: Jean-Claude Gili